Comment le digital a changé notre consommation de la mode ?

Diane a deux passions : la mode et le digital. Après avoir travaillé au sein des équipes marketing de Chanel Paris et Clarins New York; Shopstyle, le Google de la mode, l’embauche à Londres. Elle gère aujourd’hui le marketing digital de Paul Smith France. En plus d’être mon amie, c’est une jeune femme talentueuse et pleine d’idées !

Elle nous explique comment le digital a modernisé la mode, et est progressivement devenu un outil essentiel à la vente et à la communication des marques, apportant ainsi un second souffle aux médias traditionnels des boutiques physiques et magazines papier.

***

Qui est Paul Smith ?

Paul Smith est un designer anglais au style dandy chic « classic with a twist », élégant et excentrique. Son rêve était de devenir coureur cycliste mais à 18 ans, un grave accident compromet sa carrière. Après des mois de convalescence, il rencontre sa future femme Pauline, alors étudiante en design, qui l’initie à la création puis le pousse à ouvrir sa première boutique.

Paul est autodidacte, très sociable avec toujours plein d’anecdotes à raconter. C’est un designer passionné, curieux de tout et notamment des nouvelles technologies. À 70 ans, il tient son propre compte Instagram ! (@paulsmith)

C’est quoi le marketing digital ?

Pour résumer, je dirais que le marketing digital est une sorte de « couteau suisse online », il permet de communiquer et vendre grâce à ses nombreux outils. Parmi eux on compte : le référencement (Google etc.), le CRM (Customer Relationship Management), les e-mails, les réseaux sociaux, la publicité en ligne sans oublier l’optimisation des sites internet et le e-RP (Relations Presse) avec les magazines online et les influenceurs.

Il y a 10 ans, les marques de luxe avaient du mal à voir l’intérêt du marketing digital

À quel moment la mode s’est-elle intéressée au digital ?

La mode luxe/haut-de-gamme et le digital sont par essence incompatibles car le digital est grand public alors que le luxe se veut spécifique et rare. Il y a 10 ans, les marques de luxe avaient du mal à voir l’intérêt du marketing digital mais avec l’explosion d’Internet, elles ont dû s’adapter. Le client a évolué. Il n’est plus passif. Actif dans sa recherche d’informations avant achat et plus critique, on ne le fait plus rêver aussi facilement. Pour l’atteindre, il fallait utiliser ses outils : le net et les réseaux sociaux.

Paul Smith est une marque anglaise haut-de-gamme, comment fait-on pour transmettre une image qualitative et luxueuse sur internet ?

La stratégie digitale change en fonction du positionnement de la marque : luxe, haut-de-gamme ou grand public. Le luxe c’est la création, l’excellence et l’émerveillement ; on veut atteindre le client émotionnellement. La mode grand public s’adresse par définition au plus grand nombre. C’est l’ultra rentabilité avant tout : tu dois pouvoir acheter ton article en 3 clics.

Pour transmettre une image qualitative, il faut que l’expérience client en ligne se rapproche au maximum de celle en boutique : elle doit être la meilleure possible. L’excellence se trouve aussi bien dans la direction artistique – qualité des contenus, choix des visuels – que dans l’optimisation technique avec un site internet facile d’utilisation et d’excellents services (par exemple le cross-canal avec la possibilité de vérifier soi-même la disponibilité des stocks). On offre une expérience particulière en montrant le savoir-faire et en partageant du contenu exclusif.

Tu parlais des réseaux sociaux, qu’est-ce que tu penses du métier d’influenceur et de son rôle dans le monde de la mode?

C’est un nouveau média ! Il me semble que les premiers influenceurs sont arrivés en 2006-2007, moment où les réseaux sociaux ont connu un essor incroyable. Il y a eu un décalage entre la presse classique – où chacun avait conscience que ce qui était montré était enjolivé – et ces premières nanas qui partageaient les tenues qu’elles venaient d’acheter. Elles ont représenté quelque chose de vrai, une personne de confiance à laquelle on s’identifie. La plupart des plus gros influenceurs ont aujourd’hui plus de following que des grands magazines de mode comme Vogue – on parle en millions ! Alors évidemment, c’est une grosse opportunité pour les marques.

Le client a évolué, on ne le fait plus rêver aussi facilement

Après comment ça fonctionne ? Quand tu fais une campagne avec un influenceur, tu le paies pour qu’il porte les produits de ta marque et les partage avec sa communauté. Chez Paul Smith, on choisit une personne parce qu’on aime son univers et que ça correspond à notre image de marque. On peut imposer un thème ou laisser carte blanche. L’influenceur crédite la marque en partageant le lien pour acheter le vêtement ou en utilisant un hashtag ce qui va générer du trafic sur le site. La plupart des influenceurs avec qui j’ai travaillé, ils ont un œil, ce sont des stylistes. C’est d’ailleurs ce que j’aime : la magie de la mode !

Quelles sont les limites du digital ?

Quand un client se plaint en boutique personne ne le voit ; s’il le fait sur internet, sa plainte est publique. La marque doit savoir gérer ces crises pour préserver sa e-réputation – décider d’être transparente ou effacer les commentaires qui peuvent faire polémique.

Les limites du marketing digital sont aussi technologiques : le site peut rencontrer des bugs ou ne pas être assez bien référencé sur Google, ce qui décourage l’achat. Une autre limite pour moi c’est que le digital reste une expérience non-physique, pas aussi prenante et émotionnelle que d’aller dans une boutique.

Le digital dans le futur ?

Le futur du digital c’est d’aller au-delà de ce que le client recherche. Ça passera par l’innovation : délais de livraison record (les drones d’Amazon ont ouvert la voie), conseillers en ligne disponibles à tout moment ou encore moteurs de recherche ultra perfectionnés. Sur certains sites, tu mets tes mensurations et ça te dit en quelle taille tu dois prendre ton vêtement.

On peut aller encore plus loin. Moi je suis une taille S mais je peux avoir envie de m’acheter un pull oversize. Et pourquoi je devrais choisir entre la catégorie homme et femme ? Avec Instagram et Pinterest, on est inondé d’inspirations visuelles. Il faudrait robotiser ces images, que le client puisse dire “ Je veux ça !” et que l’algorithme propose des produits qui collent parfaitement à sa demande, voire la dépasse.

Une dernière question, quelle est ta muse ?

Je lis en ce moment même la biographie de Simone Veil et je dois dire qu’elle m’inspire énormément. Quelle persévérance et quelle foi en la vie, l’humanité ! La Shoah et plus tard le terrible accident de voiture de sa sœur auraient pu l’anéantir, mais elle a préféré se battre, pour améliorer les conditions carcérales des femmes et défendre le droit à l’avortement. Bref, on lui doit tant… !

Crédits photos : As A Muse & Paul Smith