Julio est l’une des merveilleuses rencontres que j’ai faites à Londres. Il était acteur, directeur de théâtre et créateur de costumes au Brésil avant de se rendre compte que la mode lui permettait d’exprimer au mieux sa créativité. Il étudie aujourd’hui dans la plus prestigieuse école de mode au monde : Central Saint Martins.
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Comment est-ce qu’on devient la première école de mode du monde ?
John Galliano, Alexander McQueen, Stella McCartney, Phoebe Philo (Céline), Hussein Chalayan – pour ceux qui me viennent à l’esprit – sont de Central Saint Martins. C’est un cercle vertueux : les gens ont remarqué que ces designers qui réussissaient venaient de la même école et les nouveaux talents ont aussi voulu y étudier. Ces stylistes ont des univers tellement différents, on n’imagine pas qu’ils ont la même formation !
Ça doit être assez magique de se dire qu’on suit les mêmes cours que John Galliano ou Alexander McQueen ! Qu’est-ce qu’on t’apprend à Central Saint Martins ?
Pour être honnête, la magie s’atténue quand tu y es parce qu’on travaille beaucoup. C’est moins glamour que ce qu’on imagine. Le point fort de Central Saint Martins c’est la créativité. Ils savent te rendre le plus inventif possible. C’est très libre, tu te concentres sur ce que tu aimes faire et on ne te demande pas d’être expert en tout. La majorité des cours sont des projets de groupe, tu peux te concentrer sur tes points forts, les développer et travailler sur tes faiblesses sur ton propre temps. La pression est souvent très forte ce qui permet aussi de développer des nouvelles compétences. Il faut savoir gérer son temps.
Pour moi s’habiller c’est créer une histoire
Cette force peut aussi être un problème quand tu entres dans le monde du travail. Certaines maisons s’attendent à ce qu’on maîtrise parfaitement une technique dans laquelle on n’aura aucune expérience. Par contre, les étudiants de CSM travaillent dur. On apprend très vite et on est préparés à travailler dans le monde très créatif et exigeant de la mode.
C’est quoi ton style ?
J’aime la couleur (y compris le noir, le blanc et toutes les nuances de gris), les grosses pièces de tissus et les coupes fluides. J’adore lier entre elles des idées qui n’ont rien à voir, mélanger des matériaux et créer des nouvelles matières. Je travaille sur des coupes minimalistes que je twiste avec un tissu plus travaillé. Si tu as déjà un bel imprimé ou un patchwork intéressant, il faut trouver un équilibre.
Certaines personnes disent « less is more », d’autres « more is more », je suis plutôt bipolaire sur le sujet ! J’aime avoir le choix. Si vous regardez mes collections très colorées et la façon dont je m’habille – toujours en monochrome – vous ne ferez peut-être pas le lien entre le design et le designer. Des fois je m’habille tout en gris, un autre jour tout en blanc et puis je vais décider d’ajouter une couleur. Pour moi s’habiller c’est créer une histoire, c’est la possibilité d’exprimer tes sentiments.
Certains étudiants ont déjà leurs univers mais ils prétendent que ce n’est pas le leur pour plaire aux autres
Comment crées-tu un vêtement ?
Ça peut être difficile de trouver son style et surtout de l’assumer. Certains étudiants ont déjà leurs univers mais ils prétendent que ce n’est pas le leur pour plaire aux autres ou montrer qu’ils font partie de quelque chose en quoi il ne croit peut-être même pas. Je me souviens avoir toujours beaucoup aimé les défilés d’Alexander McQueen. Il est devenu mainstream et ce n’était plus cool de l’apprécier. Je suis toujours très fan de son travail, ses créations me parlent beaucoup et je pense que son style est encore pertinent aujourd’hui.
Puisque tu parles d’Alexander McQueen, est-ce que tu as entendu parlé de cette collection de sacs réalisée à partir de son ADN ?!
Oui ! Je n’y ai pas cru au début ! Ça vient de Central Saint Martins justement. Je n’ai pas vu les échantillons mais pourquoi pas ? Le but est de proposer une alternative au cuir avec quelque chose qui reste luxueux. Et puis je pense que c’est très Alexander McQueen. Il aurait adoré, c’est tout à fait son univers. Il avait déjà créé un tissu avec ses cheveux pour une de ses collections dans les années 90. Mais je comprends que ce soit très polémique.
C’est une collection unisexe qui parle de la possession de son propre corps
Ces derniers mois, on entend beaucoup parler dans la presse de designers de renom qui quittent les grandes maisons : Raf Simons est parti de chez Dior, Hedi Slimane de chez Saint Laurent, Alber Elbaz de chez Lanvin… T’en penses quoi ?
Je ne sais pas trop. Habituellement j’aime le changement mais ces marques sont tellement iconiques et ces designers étaient tellement performants qu’on s’est habitué à eux. Ils étaient presque intouchables. Mais j’ai hâte de découvrir ce que va proposer Raf chez Calvin Klein.
Tu peux nous en dire plus sur la collection que tu as créée cette année ?
C’est le projet final de ma première année à Central Saint Martins. J’ai utilisé des robes fleuries et du denim d’occasion que j’ai découpés, scannés et imprimés sur des sequins pour créer des patchworks. Je me suis inspiré des soirées Batekoo qui sont des twerk parties organisées par les activistes LGBT afro-brésiliens – un univers de résistance et d’affirmation de soi. C’est une collection unisexe qui parle de la possession de son propre corps. Je voulais que tout le monde puisse la porter sans distinction de genre. Les bretelles, les ceintures, les zips sont là pour permettre de porter le vêtement comme on le souhaite, choisir quelle partie du corps on veut montrer ou garder cachée.
Est-ce que tu as une muse ?
Je n’ai pas de muse en particulier mais j’aime dire que j’ai trois chanteuses préférées : Rihanna, Nina Simone et Erykah Badu. Je les adore, elles sont tellement inspirantes et elles sont toutes les 3 du signe poisson ! Chacune apporte quelque chose de spécial: la fête, la politique, la spiritualité et la poésie.
Qu’est-ce que tu aimerais faire après Central Saint Martins ?
Travailler et payer mes dettes ! (rires)