Invités aux premiers rangs des défilés, ambassadeurs de marques prestigieuses et suivis par des millions de personnes, les influenceurs font aujourd’hui partie intégrante du paysage de la mode. Mais qui sont-ils exactement et comment expliquer leur ascension ?
Léa, londonienne férue de mode, d’art et de digital, s’est intéressée à la question. Née dans les années 90, elle a suivi de près la révolution internet et la progressive démocratisation d’une mode très institutionnalisée, fermée et élitiste qui s’ouvre peu à peu grâce aux nouvelles générations d’influenceurs.
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Commençons par la base, qu’est ce qu’un influenceur ?
Un influenceur est un créateur de contenu en ligne, unique et original, qui échange avec une communauté à propos d’un sujet d’expertise. Millénial souvent issu des industries créatives, il est très proche de sa fan base. Elle s’identifie à lui et ils communiquent de manière ouverte et informelle sur les réseaux sociaux. L’influenceur, indépendant, ne représente en théorie aucune marque et parle en son nom, ce qui rend sa parole crédible et authentique – très important pour la fidélité de son audience. Contrairement au journaliste mode, il n’a pas besoin d’un diplôme, d’un réseau ou d’une expérience professionnelle. N’importe qui peut devenir influenceur en fait !
Qu’est-ce qui fait qu’un influenceur est influant ?
L’influence c’est le pouvoir de changer la décision d’une ou plusieurs personnes, notamment leur pouvoir d’achat. C’est très difficile à quantifier. On peut classer les influenceurs selon différents critères – nombre d’abonnés, engagement de la communauté, nombre de likes et commentaires, portée des posts – mais aucun n’est totalement satisfaisant. Un influenceur ayant une grosse communauté peut avoir moins d’impact qu’un micro-influenceur à 10K abonnés mais dont la communauté est très engagée.
Pourquoi ce succès ?
Les utilisateurs d’internet et, plus particulièrement des réseaux sociaux, ne veulent pas voir de la pub. L’ad blocking est en hausse ; on ignore les publicités car on ne veut pas être la cible d’une marque au message biaisé. D’un autre côté, le e-commerce explose. Ça paraît naturel aujourd’hui mais dépasser l’incertitude de l’achat en ligne en donnant ses codes de carte bancaire a pris du temps ! Et même aujourd’hui, on vient chercher auprès de l’influenceur un avis de confiance pour se rassurer sur les achats qu’on va faire.
A partir du moment où l’influenceur est payé pour donner avis, est-ce qu’on peut parler de publicité déguisée ?
Effectivement, ça casse ma théorie ! Les influenceurs se lancent d’abord par passion et certains deviennent professionnels ce qui pour moi veut dire qu’il y a monétisation (collaborations avec des marques, billets sponsorisés, etc.). C’est à chacun d’être critique vis-à-vis de ce qu’on lit ou voit. Je ne pense pas que la ligne éditoriale change complètement. En général, les influenceurs sont attentifs et s’ils géraient mal la transition, on ne leur ferait plus confiance et ils perdraient leurs followers. Côté juridique, la législation du pays oblige à indiquer quand un billet est sponsorisé.
On a vu aussi Google s’exprimer contre les collaborations cachées et demander aux blogueurs d’indiquer les liens résultants d’un partenariat rémunéré via l’attribut « no follow ». En effet, un site très partagé sera analysé par l’algorithme de Google comme étant de qualité donc nécessitant un bon référencement. Or si c’est biaisé par l’argent, le bon référencement n’est pas forcément justifié !
De quel œil la presse voit-elle l’émergence des influenceurs ?
Certains journalistes mode ont pu critiquer les blogueurs et peut-être les voir comme des arrivistes qui voulaient prendre leur place… ce sont des concurrents quelque part ! Or non, les blogueurs sont entrés dans le monde de la mode pour apporter quelque chose de différent.
Quand Garance Doré filme des grands créateurs en partageant avec eux des conversations informelles, c’est novateur ! Son audience adore car ce sont des gens passionnés par la mode, et ses fans sont curieux d’apercevoir l’envers du décor.
La presse de mode a été beaucoup critiquée car elle ne montrait pas la réalité, les photos sont retouchées, les vêtements proposés hors de prix. Est-ce que, d’une certaine manière, on n’a pas le même problème avec les influenceurs qui partagent une vie à première vue idéale et complètement déconnectée du quotidien de leur communauté ?
Albert Elbaz (ancien directeur artistique de Lanvin) a déclaré dans une interview Vogue que l’essence de la mode ce n’est pas « [about] looking amazing » mais c’est « about giving ». Malheureusement, les influenceurs sont souvent vus comme des égocentriques qui ne pensent qu’à leurs selfies. Mais moi je pense que c’est l’inverse. Quand tu es influenceur, tu transmets d’abord une passion, et c’est énormément de travail, donc c’est tout sauf égoïste.
Et si on suit les influenceurs c’est justement parce qu’ils nous vendent du rêve. Pourquoi on suit Chiara Ferragni ? Bien sûr, on cherche la bonne copine, la personne qui va nous donner son avis, etc. mais au final ce qu’on trouve c’est du rêve. Sur Instagram, on veut voir des trucs beaux qui nous inspirent ! Il faut toujours garder un esprit critique et se rappeler qu’on est sur un réseau social – dans la représentation de soi et de la mode, et pas dans la vie réelle.
Les réseaux sociaux et influenceurs ont donc encore des beaux jours devant eux ?
Instagram est le réseau social le plus pertinent pour la mode et c’est en train d’exploser ! Je pense que le métier d’influenceur va continuer de se dématérialiser. La nouvelle génération va s’éloigner de plus en plus d’un monde fermé pour aller vers une plus grande démocratisation de la mode et de l’influence. C’est incroyable de se dire qu’aujourd’hui tout le monde peut avoir une voix sur ce sujet !
Le système d’influence existe depuis toujours et on aura toujours besoin d’influenceurs. L’influenceur c’est tout d’abord celui qui digère les données envoyées par les médias traditionnels et qui les explique. Ça se fait en 2 étapes : du média à l’influenceur et de l’influenceur à son audience. On est parfois très passif face à ce qu’il se passe même si c’est un sujet qu’on affectionne et on a souvent besoin d’une personne qui joue le rôle de guide. Peu importe son support, je pense que ce métier a de très beaux jours devant lui !
Quelles sont tes muses ?
Ça le fait si, après une interview comme ça, je sors des muses super institutionnelles ? (rires) Mes muses sont les femmes qui m’ont fait aimer la mode et qui me la font redécouvrir. Je dirais 3 noms : Carine Roitfeld, Grace Coddington et Diana Vreeland. Des femmes qui se sont libérées du carcan de la mode (chez Vogue !) en y apportant leur touche et leur talent.